Quand l’automne revient, les champignons sortent dans les champs et les forêts. Et ça, Laurent ne le raterait pour rien au monde ! Tous les ans, depuis toujours, il va aux champignons. Et comme il connaît parfaitement sa région et les bons coins, il revient avec des kilos de cèpes, pour le plus grand plaisir de sa famille et de ses amis qui viennent les déguster ensuite ! Voici donc une conversation enregistrée à l’heure de l’apéritif, dans le brouhaha des voix qui s’entrecroisent !
(Pas facile à suivre par moment… ni à transcrire ! Mais c’est la vie !)
Transcription:
L: Laurent / M: Mireille / JC: Jean-Claude / A: Anne
L: Ouais, plus de 20 kilos.
M: Mais prends ce que tu veux !
JC: Jeudi, vendredi ?
L: Ouais.
M: Prends ce que tu veux, bien sûr. Attends, on mangera pas tout !
L: Jeudi après-midi pendant deux heures et demie. Et hier, pendant toute la matinée. On n’est même pas allés l’après-midi.
A: Mais tu y vas le matin ?
L: Ouais, on était au lever du jour, à 7 heures.
JC: Le « On », c’est qui ? Tu y vas avec qui ?
L: Avec le collègue […], là.
M: Avec son collègue (1) René.
L: Avec qui je vais toujours.
M: Qui est à la retraite.
M: Ils se sont même pas… allés l’après-midi (2), parce qu’ils en avaient… la voiture pleine !
A: Mais c’est là où tu vas toujours ?
L: Non, là, c’était la première fois que j’y allais à cet endroit (3).
JC: Ah ouais ?
A: Ah ouais ?
JC: Chênes ? Châtaigniers ? Les deux ?
M: Non mais ce qu’on a fait, c’est que…
L: Sapinettes.
JC: Sapinettes !
L: Châtaigniers, ça sort pas. Ça a pas… Tu comprends que ça a grêlé sur le Lozère. Ça a grêlé à partir de 1100 mètres, donc à 1100 mètres, tu as plus de châtaigniers.
A: Là, toi, d’habitude, tu vas pas dans les sapins comme ça ?
L/ M: Si, si, si (4).
M: Si (4), c’est souvent là, très très souvent là qu’on les trouve.
L: Si (4). Mon père m’a pas appris ça. Mais moi…
M: Des fois, ça sort dans les châtaigniers, mais plus tard.
L: Mon père, il m’a appris: châtaigniers, chênes et fayards, enfin hêtres.
M: Les fayards, c’est les hêtres.
L: Lui, il a jamais…
M: Mais dans les fayards, on en a rarement trouvé.Moi, j’en ai rarement trouvé, dans les fayards.
L: Oh ouais, alors là, les fayards, putain (5) ! […] fantastique.
M: C’est rare.
L: C’est rare, hein.
M: Le mieux, c’est quand même les sapinettes. C’est quand même là qu’on les trouve le mieux… qu’on en trouve le plus.
A: Et il y en a plein groupés dans un endroit, ou… ?
M: Oh bah des fois, tu as ce qu’on appelle les boletières, c’est-à-dire qu’au pied d’un sapin, tu peux en avoir toute… Une dizaine, une quinzaine, comme ça.
A: Tu arrives, c’est… Tu deviens fou !
JC: Bah s’il en a trouvé plus de 20 kg, c’est pas un par un ! Parce que 20 kg un par un !
M: Alors là, tu arrêtes, et puis tu prends la faux et…
JC: J’ai rencontré une chose que je n’avais jamais vue de ma vie. Il faut savoir que le… la… Tout le massif du Lozère, c’est sur le granit (6).
M: C’est du granit.
L: Alors, le granit, soit c’est d’énormes rochers presque comme la maison.
M: Des blocs qui sont superposés, là…. Que c’est beau.
L: Et puis tu as des… des cailloux de cette taille qui ressemblent à des pierriers.
M: Et avec au milieu du sable du granit qui s’est…
L: Quand… Oui, tu peux avoir le sable…
M: … désagrégé aussi, ça fait… désagrégé, là, ouais, ouais.
L: Et donc, tu as des mini pierriers de temps en temps. Et autour tu as des sapinettes. Ça fait un cadre (7)! J’adore ça !
M: C’est très beau. J’aime bien moi aussi.
L: Bon après, autour, tu as soit de la mousse, soit des fram[…] (8), des…
M: Des myrtilliers.
L: Des myrtilliers, bon. Eh beh, figure… Figurez-vous que (9)
le… là, j’ai trouvé des cèpes au milieu des pierriers !
M: Dans le pierrier, ils poussaient !
L: Alors pourquoi c’est possible, ça ?
JC: Il doit y avoir un peu de… Non, il doit y avoir quand même un peu de terre des…
M: Bah il y a forcément de la terre dessous mais…
L: Il faut savoir que ces champignons, ils sortent pour la bonne raison qu’il a grêlé il y a 15 jours (10).
M: Le fait qu’il ait grêlé. Quand il grêle…
L: La grêle, comme c’est des oeufs de pigeon, comme ça,…
JC: Elle reste.
JC: Elle reste…
M: Ça coule doucement, ça s’infiltre…
JC: Ouais, ça l’humidifie vachement (111), le temps qu’elle fonde.
M: Voilà ! Alors que la pluie, quand c’est fort…
L: Ce qui génère…
JC: Ça rui[…] (12). Ça coule.
A: C’est l’humidité qui est restée…
L: Ce qui génère des conditions extraordinaires pour que…
M: Ah ouais ! Pour les… Quand il grêle, c’est…
L: Et tu vois des champignons qui s’adaptent au… Ils forcent… Ils sortent en forçant.
M: Faut voir (13)… Faut voir comme ils sortent ! A travers… Ils poussent les pierrres !
L: Ils ont le pied.. Tu te dis… René, il me disait: Tu as qu’à pousser les pierres. J’ai dit: Beh oui !J’ai poussé les pierres. Un truc de fou (14), quoi !
JC: Ah beh, les champigons, c’est quand même étrange ! Quand ça a décidé de sortir…
M: Ah ouais, ouais.
L: Quand ça a décidé de sortir, …
M: Et alors, à côté de ça, tu as des super (15) endroits où c’est joli…
JC: Ouais, et tu rêves…
M: De la jolie mousse, et tu dis: Et mais là, il manque plus que le champignon. Eh beh, là, il y est pas, ce con (16) !
L: Il y est pas, ce con !
M: Il y est pas ce con !
JC: Il manque plus que l’essentiel. Et il y est pas !
A: Oui, oui. Et là, après, qu’est-ce que tu en fais ?
M: Oh bah là, il faut qu’ils sèchent et après, on les fait…
L: Dans des sauces.
A: Tu les gardes…
L: Des sauces. Ce que tu vas… Ton velouté,…
M: Le velouté, c’est fait avec des cèpes secs.
L: Le velouté que tu vas prendre (17), voilà.
M: C’est hyper concentré, comme goût, ça.
JC: Bah de toute façon, le velouté, tu rajoutes l’eau du… du… qui s’est évaporée finalement (18) quand tu l’as séché.
M: Oui, oui, bien sûr.
A: Et ceux-là (19), alors, redonne-nous la recette parce que…
M: Il faut… Tu les fais… Tu leur fais rendre l’eau dans une poêle, dans une poêle à feu très, très très doux.
JC: Merci. (20)
M: Si ils sont un peu trop secs, il faut y mettre une goutte d’eau pour pas que ça attrape (21) au début.
L: On parle, on dirait que…
JC: Putain, c’est pas possible !
M: Juste un petit peu. Et tu les laisses rendre l’eau à feu très, très doux. Et ça rend de l’eau, ça rend de l’eau. Et tu les laisses cuire dans leur jus. Puis au bout d’un moment, quand tu vois… Tu tâtes, quand tu vois qu’ils sont… qu’ils sont…
JC: Qu’il est bon ! C’est bon, hein !
M: … souples,…
L: Putain !
M: … tu laisses évaporer l’eau. Et là, tu mets à feu vif et…
L: Ces vins pleins de… pleins de fleurs !
M: … là, tu mets un verre de vinaigre de vin.
A: Ah oui, c’est ça.
M: Mais ordinaire, hein, vinaigre de vin. Et là, à feu vif, et tant que (22) c’est pas évaporé, tu laisses cuire et le vinaigre… Il faut pas que le vinaigre reste en fait. Mais par contre, ils prennent le goût. Quand c’est complètement sec, tu arrêtes… le feu. Tu mets dans un plat. Tu coupes du laurier, de l’ail en morceaux. Tu sales, tu poivres. Et l’huile d’olive.
JC: Je sais pas. […] pas 100% d’accord avec la mangue mais c’est super, super.
M: Et c’est tout.
A: Tu les conserves dans un… oui…
M: Alors après, tu peux les mettre dans un pot et tu les tasses bien, bien, bien. Tu couvres d’huile d’olive.
L: Ça te fait pas penser à un fruit exotique quand même ?
M: Et tu gardes au frais. Ça se garde bien.
JC: Oui, peut-être mais pas forcément…
L: Pas la mangue ?
JC: … la mangue, non.
M: Franchement, oui.
A: Et là, il y en a d’autres qui vont sortir ?
JC: Tiens !
M: Oh de toute façon…
L: On fait le pari que jeudi…
M: … c’est pas fini, hein !
L: Là, ce sera pas fini.
JC: La saison, elle est pas finie !
A: Tu vas retourner ?
L: Ouais !
JC: Quand même, la saison, elle commence à peine (23) !
L: Et puis, c’est sorti sur un endroit. Il manque toute le… toute l’autre montagne qui a rien donné.
JC: Mais attends, il va pleuvoir encore !
L: J’espère !
M: Le problème avec l’autre montagne, il faudrait qu’il pleuve ou qu’il grêle un peu.
A: Et tu te perds jamais ? Non ? Tu y vas toujours avec quelqu’un ?
M: Non, mais il co[nnaît]… non, mais en plus… Non !
JC: Il est de Florac, oh !
L: Ma foi (24) !
A: Tu connais comme ta poche (25) !
M: Non, mais il y a des endroits qu’il connaît…
L: Il y avait un jour de brouillard, à l’Aigoual, j’ai eu un doute de savoir mais le reste…
M: Une fois, on s’est plantés (26) avec ta mère. Ça, on n’a jamais compris pourquoi on s’était perdus !
L: Oh oui, à Barre.
M: A… à…
L: A Barre.
M: Au Mesnil. En face Le Mesnil.
A: C’est vrai ?
L: Ouais, ouais.
A: Toutes les deux ?
M: Tous les trois.
L: Tous les trois.
M: On était dans un bois et à un moment donné, on est sortis du bois et…
L: Je sais pas ce qu’on a branlé (27) !
M: On n’est pas partis du bon côté. Boh ça, j’ai… Et ça, je te jure, j’ai toujours pas compris comment on a pu faire ça !
Des explications:
1. un collègue: normalement, un collègue, c’est quelqu’un avec qui on travaille. Mais dans la région, très souvent, les gens utilisent ce mot à la place du mot « ami ». (familier)
2. ils se sont même pas… : cette phrase n’est pas correcte. En fait, comme souvent à l’oral, on commence d’une manière, puis on change en cours de route. Avec le verbe « aller » utilisé après, il faudrait dire: Ils ne sont même pas allés…
3. j’y allais: soit on dit: c’était la première que j’y allais. Soit on dit: c’était la première fois que j’allais à cet endroit. Là, le style est oral bien sûr et donc il y a combinaison des deux phrases.
4. Si: en français, on ne dit pas « oui » quand ce qui précède est négatif et qu’on veut dire le contraire: Tu n’y vas pas ? Si, j’y vais. (Et souvent, on répète ce mot: Si, si, j’y vais.)
5. Putain !: exclamation, mais dans un style très, très familier. Attention si vous l’employez !
6. le granit: on peut aussi écrire granite, avec la même prononciation.
7. ça fait un cadre ! = le lieu est très beau. On peut dire aussi: Le cadre est magnifique.
8. Il allait dire des framboisiers.
9. Figure-toi que… / Figurez-vous que…: C’est une façon d’annoncer qu’on va raconter quelque chose de surprenant.
10. il y a quinze jours: expression très courante, employée à la place de « Il y a deux semaines ».
11. vachement: beaucoup. (très familier, uniquement oral)
12. Il allait dire: ça ruisselle.
13. Faut voir comment… : cette expression souligne le fait que c’est surprenant. La forme complète, ce serait: Il faut voir comment…
14. un truc de fou! : quelque chose d’incroyable. (familier)
15. des super endroits = des endroits vraiment parfaits. (familier). Ce mot ne s’accorde pas. Donc normalement, il ne faut pas faire de liaison comme s’il y avait un « s » de pluriel ici. Le moyen de contourner la difficulté, c’est de dire: des endroits super.
16. ce con: style très familier. De façon plus neutre, on peut dire: Cet imbécile. Mais normalement, ces noms ne s’emploient qu’à propos des humains. Donc les utiliser à propos des champignons, c’est comme accorder une volonté propre aux champignons. C’est comme dire: Ils font exprès de ne pas pousser là où on les attend.
17. le velouté que tu vas prendre = que tu vas manger. (Le menu, c’était velouté de cèpes en entrée, puis entrecôte de boeuf aux cèpes.)
18. finalement: ici, c’est le sens de en fin de compte.
19. ceux-là: c’est-à-dire ceux qui étaient servis avec l’apéritif, avant le repas lui-même.
20. Merci: Laurent vient de servir un verre de vin à Jean-Claude. A partir de là, il y a la conversation sur la recette et celle sur le vin, ses arômes, etc… Deux conversations superposées.
21. attraper: en cuisine, cela signifie attacher, quand il n’y a pas assez de matière grasse dans une poêle par exemple. (familier). On dit que ça attache.
22. tant que: aussi longtemps que
23. la saison commence à peine: c’est vraiment juste le début.
24. Ma foi ! : c’est comme dire: « Bah oui, c’est évident« . (expression du sud de la France)
25. connaître un endroit comme sa poche: connaître parfaitement cet endroit.
26. se planter: se tromper (familier).
27. branler: ici = faire. (très, très familier) De façon plus polie, mais familière quand même, on peut dire: Je ne sais pas ce qu’on a fabriqué. Et de façon neutre: Je ne sais pas ce qu’on a fait / comment on a fait / comment on a fait notre compte.